Thèse

Thèse (LMT-Cachan)

Identification d’un mode de vieillissement dans un assemblage céramique-métal.

Encadrement : François Hild
Mots clefs : Assemblage céramique-métal, arrêt de fissure, rupture probabiliste, propagation sous-critique, micro-indentation, vieillissement.

 

Contexte et préambule

 

Lorsque des composants industriels sont placés en condition d’utilisation, le fabriquant garanti une certaine durée de vie, durée au cours de laquelle le composant ne faillira pas au rôle pour lequel il a été conçu. Cette durée de vie est calculée à l’aide d’outils souvent théoriques prenant en compte les principales causes possibles de défaillances. Un problème se pose lorsque la durée du service effectif des composants approche la durée de vie calculée, et que le retour d’expérience fait défaut : le vieillissement des matériaux et des causes non prévues initialement peuvent altérer le comportement initial des composants.

 

these_clip_image003 C’est dans ce contexte que se situe cette étude : la structure considérée, le couvercle d’un composant aéronautique, est en service depuis longtemps, et le retour d’expérience est faible. Ses constructeurs ont engagé une série d’études destinée à mieux appréhender l’évolution des phénomènes susceptibles de faire que le composant ne remplisse plus son rôle.

 

Cette structure est composée d’un cylindre d’alumine (élastique fragile) et de deux cylindres d’aciers inoxydables (ductiles) placés respectivement à l’extérieur et à l’intérieur du cylindre d’alumine (figure 1). Comme on ne peut braser directement de l’alumine, le cylindre intérieur est au préalable métallisé (par un procédé moly-manganèse). Les trois cylindres peuvent alors être assemblés, un eutectique argent-cuivre servant de joint de brasage : l’ensemble est porté a température de fusion de ce dernier (780°C), puis, une fois le joint de brasage mis en place, refroidi jusqu'à température ambiante. La différence entre les coefficients de dilatation thermique des différents matériaux engendre alors de fortes contraintes résiduelles : il est à craindre que ces dernières ne créent des fissures dans le cylindre d’alumine, fissures successibles de le rompre et donc représenter un facteur limitant de la durée de vie de l’assemblage.

 

Un calcul éléments finis du refroidissement de l’assemblage est effectué grâce au code de calcul Castem 2000, en considérant un modèle visco-élasto-plastique pour le joint de brasage et l’acier inoxydable et un modèle élastique pour l’alumine. Ce calcul met en avant la présence de fortes contraintes de traction dans le cylindre d’alumine, couplés à des zones en compressions : ces zones fortement chargées peuvent être cause de fissuration de la partie fragile de l’assemblage. Pour évaluer l’influence de ce champ de contrainte sur la tenue du cylindre d’alumine, la probabilité de rupture de chaque élément fini est calculée grâce à la statistique de Weibull, basée sur l’hypothèse du maillon le plus faible : dans tout matériau fragile sont présents des défauts, de taille et d’orientation aléatoires. Toute fissure s’amorce à partir d’un de ces défauts, et dés qu’une fissure apparaît, on suppose qu’elle se propage jusqu'à la ruine complète de la structure. Ce calcul donne une probabilité de rupture unitaire dans les éléments finis les plus fortement chargés :  la structure ne devrait donc pas sortit intacte de son processus de fabrication. Et pourtant, ces pièces sont fabriquées, bien que la présence de fissures soit observée dans le cylindre d’alumine.

 

Cette conclusion implique deux choses : d’abord des fissures sont créées dans la partie fragile de l’assemblage, et ensuite, elles sont arrêtées. L’hypothèse du maillon le plus faible ne peut être appliquée ici : il faut prendre en compte les conditions de propagation (brutale et sous-critique) des fissures dans la partie fragile de l’assemblage afin de pouvoir déterminer leurs impacts sur la durée de vie de l’assemblage.

 

Probabilité de propagation de fissures dans un matériau hétérogène

 

Afin de prendre en compte les dispersions mécaniques susceptibles d’avoir de l’influence sur la longueur des fissures, pour un chemin donné, nous avons considéré que l’alumine dans laquelle se propage les fissure est constituée d’un agrégat de grains ayant des propriétés aléatoires, indépendantes d’un grain à l’autre. En utilisant le critère de Griffith comme critère d’arrêt, et en considérant que la fissure se propage globalement en mode I, nous pouvons écrire que cette dernière sera arrêtée au point x d’un chemin de fissuration si

K(x)<Kc(x),

K(x) est le facteur d’intensité des contraintes en mode I, et Kc(x) la valeur de la ténacité en pointe de fissure. Considérons à présent un chemin de fissuration (en mode I) dans un matériau hétérogène : l’intersection entre ce chemin de fissuration et un grain du milieu est un segment de longueur aléatoire. Nous considèrerons pour notre part que la longueur de ces segments est constante, égale à 1/λ, longueur correspondant en fait à la longueur moyenne des intersections entre les grains et le chemin de fissuration. Si l’on considère que, sur chaque intersection entre le chemin de fissuration et le grain, la ténacité est constante, bien qu’aléatoire et indépendante d’un grain à l’autre, la probabilité P(a,b) de propagation de la fissure le long du chemin donné, d’une longueur a à une longueur b s’écrit

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avec P(K(x)>Kc), probabilité que le facteur d’intensité des contraintes soit supérieur à la ténacité, défini grâce à la densité de probabilité associée aux ténacités hKc

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these_clip_image009Les paramètres de dispersions associés à la ténacité (i.e, les paramètres de la fonction hKc) sont identifiés à l’aide d’essais d’indentation (figure 2) : sur un matériau fragile, un tel essai créé une empreinte irréversible, mais également génère des fissures. La longueur de ces dernières peut être reliée à la ténacité locale du matériau :

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avec k un paramètre ne dépendant que du matériau. Les paramètres de dispersion sont mesurés sur des éprouvettes en alumine, en nitrure de silicium, et en carbure de silicium. Ces données sont ensuite confrontées à des résultats expérimentaux issus d’essais de rupture en flexion trois points effectués sur des éprouvettes en carbure de silicium.

Une fois que la dispersion des longueurs de fissures générées par le refroidissement de la structure a été déterminée, leur propagation sous-critique a été étudiée.

 

Considérons une loi de vitesse de propagation sous-critique du type Evans-Widerhorn, soit

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avec Ks le facteur d’intensité des contraintes seuil, en dessous duquel la vitesse de fissuration sous critique est nulle. Ks jouant un rôle similaire à Kc, nous considérons que c’est également une variable aléatoire sur chaque grain, variable aléatoire ayant les mêmes propriétés que la ténacité, avec sur chaque grain

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où μ est un paramètre déterministe dépendant seulement du matériau. Avec ces hypothèses supplémentaires, nous pouvons écrire la probabilité de propagation P(a,b,T) d’une fissure d’une longueur a à une longueur b en un temps inférieur à T

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Ce résultat à été confronté avec succès à des longueurs de fissures générées par micro-indentation, et ayant subit une propagation sous-critique. Nous noterons que, si T=0, nous retrouvons l’expression de P(a,b) déterminée précédemment.

 

Durée de vie de l’assemblage céramique-métal

 

Une fois que les bases théoriques de la propagation (brutale et sous-critique) de fissure dans des matériaux fragiles sont posées, et que les paramètres de dispersion associés aux variables aléatoires sont mesurés et confrontés à des données expérimentales, l’influence de la propagation de fissures dans la partie fragile de l’assemblage sur sa durée de vie peut être étudiée.

 

À partir du calcul élément fini du refroidissement effectué sous Castem 2000, des fissures numériques sont amorcées au voisinage des zones fortement chargées. Ces dernières se propagent ensuite dans le maillage : l’avancée des fissures est effectuée de manière « manuelle », afin que chaque avancée élémentaire maximalise le taux de restitution d’énergie. Les contraintes sont actualisées en effectuant un calcul de refroidissement sur la structure numérique fissurée. A chaque étape de la propagation des fissures numériques, le taux de restitution d’énergie est calculé : la propagation est arrêtée dès que ce dernier est proche de zéro.

 

Sur ces chemins de fissuration, la probabilité de propagation (brutale et sous-critique) est calculée grâce à la connaissance de la valeur du taux de restitution d’énergie en fonction de la longueur des fissures : aucune des fissures ne se propage suffisamment, même après un temps infini, pour rompre la structure. Afin de connaître l’effet du changement de température extérieure sur cette propagation (la structure évolue dans un environnement ayant une température variant entre -20°C et +70°C), la probabilité de propagation est calculée sur un champ de contrainte numérique modifiée : la conclusion ne change pas.

 

À la suite de cette étude, nous pouvons donc en conclure que, dans les conditions d’utilisation de la structure, la propagation des fissures dans l’alumine ne constitue pas un facteur limitant de la durée de vie de l’assemblage.

 

Développements sur la propagation probabiliste de fissure

 

these_clip_image027Une expression différente de la probabilité de propagation P(a,b) a également été développée, cette fois-ci en ne considérant plus que les matériaux sont des milieux discrets, mais en considérant un matériau homogène au sein duquel est disséminée de manière aléatoire des sites dont la résistance à la rupture est également une variable aléatoire (figure 3). Le front de fissuration possède alors des propriétés remarquables, en particulier que sa « rugosité » est indépendante des propriétés mécaniques du matériau (fragile).


À partir des propriétés du front de fissuration (bidimensionnel), la probabilité de propagation d’une fissure dans le matériau considéré est écrite : à la différence de ce qui a été fait précédemment, les ténacités se révèlent posséder une loi de dispersion indépendante du matériau.

La confrontation entre ce modèle et des essais de micro-indentation sur matériaux fragiles (alumine, carbure et nitrure de silicium, verre) a été effectuée avec succès.